PAR : Dave Fonda   PHOTOGRAPHIE : Dru Kennedy

 

« Tiens, me dit Ashley en me tendant un gros morceau de millefeuille frais. Tu dois essayer ça. »

Dix minutes plus tôt, je ne connaissais pas Ashley d’Adam. Nous sommes maintenant les meilleurs copains gourmands, partageant un dessert à la crème pâtissière au comptoir de location de voitures Enterprise, à l’aéroport régional de Deer Lake, où elle travaille. Ashley me parle des endroits à voir et des choses à faire sur la côte Ouest de la province la plus à l’est du Canada, en commençant par cette pâtisserie gourmande. Il est 1 h 00. Je souffre du décalage horaire. Je suis affamé. Et, honnêtement, je n’ai aucune idée de ce qui me plaît le plus : la conversation, le millefeuille ou ce moment étrange de « bonté presque incommodante ».

Cole Fawcett, le directeur des ventes et de l’hébergement à Marble Mountain, m’a fait découvrir cette expression. Une « bonté presque incommodante », voilà comment la plupart des étrangers décrivent l’hospitalité et le charme des Terre‑Neuviens. Les Terre-Neuviens ne vous font pas seulement sentir les bienvenus et comme chez vous, ils sont si incroyablement gentils que vous souhaiterez être un des leurs. Peut-être est-ce pour cette raison que tant de gens prennent maintenant le vol de nuit à service simplifié de Toronto. Ils retournent tous chez eux, à ce bel endroit à la bonté incommodante, la plupart, semblerait-il, étant des travailleurs dans les champs de pétrole qui ne supportent pas d’être loin de chez eux plus de deux semaines à la fois. Une visite et vous comprendrez.

Lorsque Ashley m’a dit « Tu dois essayer ça », elle aurait bien pu parler de déguster une bière Iceberg de la Quidi Vidi Brewing Company, d’explorer le parc national Gros Morne situé tout près, de faire de la motoneige dans les montagnes Blomidon, de prendre part à un repas autour du feu entre voisins, d’aller à la pêche à la mouche dans la rivière Humber ou, mon option préférée, de skier au mont Marble.

La première fois que j’ai skié au mont Marble, il y a huit ans, les malheureux Paul McCartney et sa femme de l’époque, Heather Mills, étaient en plein débat contre un premier ministre Danny Williams combatif sur CNN. Le couple fut voué à la ruine l’instant où il méprit l’Île-du-Prince-Édouard pour Terre-Neuve. Le débat sur la chasse au phoque tant proclamé prêtait à la discorde, et tout le monde que je rencontrais était comblé. Bien entendu, Terre-Neuve avait bien des raisons de célébrer à ce moment.

Le pétrole jaillissait sur la côte Est, alors que l’autre côté de l’île attirait les riches investisseurs irlandais à la recherche de biens immobiliers abordables. Les manoirs dans la vallée de la rivière Humber apparaissaient un après l’autre. L’aéroport a ensuite été nommé l’aéroport international de Deer Lake, et les transporteurs aériens offraient des vols directs à Londres (Gatwick). Tout cela a cessé au moment de la chute du tigre celtique. Les richesses ont disparu en une nuit et, par la suite, les résidents avisés ont obtenu les palais abandonnés et tous les trésors pour une bouchée de pain.

Ici debout, en train de parler avec Ashley, je me demande quoi d’autre a changé depuis cette effervescence.

Après une bonne nuit de sommeil à Marble Villas, le seul hôtel à flanc de montagne au Canada atlantique, j’ai ouvert les yeux sur une légère couche de neige fraîche sous un ciel bleu clair. Je me suis habillé, ai sauté sur mes skis et me suis rendu au Marble Mountain Lodge pour déjeuner. Il s’agit d’un énorme et imposant pavillon en bois peint en gris qui a été construit par Clyde Wells, un avocat imperturbable de Corner Brook devenu premier ministre provincial.

À l’intérieur, ses murs en pin noueux étagés sont recouverts de skis d’époque et de photographies en noir et blanc. Sur l’une d’elles, datée de 1972, on peut voir une jeune Nancy Green. Dans sa jeune exubérance, Nancy a désigné Marble comme la « meilleure station de ski à l’est des Rocheuses ». Bien qu’elle n’ait jamais cessé de rétracter cette affirmation, le fait demeure que Marble offre un merveilleux terrain de ski.

« Quand les conditions à Marble sont réunies, déclare Fawcett, il n’y a pas d’autre endroit plus emballant où skier dans l’Est. Il y a des montagnes plus élevées qui présentent une dénivellation supérieure et beaucoup plus de pistes. On en trouve même quelques-unes où l’on peut skier au-delà de la limite forestière. On ne peut changer cela. Mais, je vous garantis que vous ne trouverez pas un endroit plus emballant où skier dans l’Est qu’à Marble. Et je ne suis même pas d’ici! » Fawcett, doit-on le mentionner, vient de Poley, au Nouveau-Brunswick, et a passé toute sa vie à skier dans le Canada atlantique et en Nouvelle-Angleterre.

Le mont Marble est privilégié de par sa neige abondante, son terrain fantastique et l’absence de foules. En moyenne, plus de 500 centimètres de neige délicieusement sèche y tombent chaque hiver. Selon Keith Cormier, historien émérite habitant Marble : « Il neige quand l’air doux et humide du golfe du Saint-Laurent croise l’air froid et sec des montagnes de l’Ouest de Terre-Neuve. La neige est sèche, même si Marble se situe tout juste au-dessus du niveau de la mer. »

Ensuite, il y a le terrain. Marble est le sommet le plus important du Canada atlantique avec ses 519 mètres verticaux, son terrain skiable de 230 acres et ses 39 pistes. Bien que ces chiffres représentent normalement des statistiques moyennes, il n’y a rien de normal à propos de Marble. Le ski y est GÉANT.

« Marble est un mont pour skieurs, indique Cormier. Cela suggère donc deux choses. Il y a d’abord l’amour du ski, d’être un skieur. Le mont Marble le nourrit en offrant tout ce dont les skieurs aiment à propos du ski. Puis, il y a l’amour d’être sur la montagne. La plupart des skieurs skient parce que le ski va au-delà du ski. » À Marble, cela inclut tout, d’un verre face aux magnifiques paysages de la vallée de la rivière Humber à un verre de Screech and Old Sam dans le pavillon en pin noueux, où l’après-ski y est dynamique, voire légendaire.

Voilà qui nous amène aux skieurs à Marble. Même s’ils sont peu nombreux (en semaine, on n’y voit personne), bon nombre sont dangereusement bons. Ils sont les produits d’une école de ski et d’un club de compétition fantastiques, d’une attitude gagnante remarquable, qui porte les amis et la famille à se défier constamment, et d’une culture de ski riche et essentielle qui célébrera sous peu ses cent ans.

Le ski a fait son apparition dans l’Ouest de Terre-Neuve dans les années 1920, quand la Newfoundland Power and Paper Mill a ouvert ses portes dans la ville avoisinante de Corner Brook. L’usine avait alors besoin de travailleurs du bois qualifiés, qu’elle recrutait de la Scandinavie.

« Les Scandinaves ont apporté leurs skis et nous ont initiés au ski de fond et nordique, explique Cormier. Ils ont même construit un tremplin de ski à Corner Brook.

Les Bowater ont mis la main sur l’usine en 1936, et la haute direction était très soucieuse de la collectivité, ajoute-t-il. Bon nombre ont agi à titre de président du club de ski de Corner Brook, qui a été créé pour faire croître le ski dans la région. Ils ont conçu leur premier sentier alpin à Massey Drive vers la fin des années 1930. Ils ont aménagé la première montagne et construit le premier pavillon. À l’époque, ça se limitait à de la randonnée pédestre et du ski.

Dans la fin des années 1950, le club a commencé à envisager un autre mont. Les choix ont été réduits à Marble, à Blomidon et à Hughes Brook. Trois anciens présidents du club ont eu pour tâche d’élire le gagnant. Chacun a voté pour son mont préféré. « Marble l’a remporté, car le président qui votait pour ce mont a voté deux fois », affirme Cormier.

Marble a ouvert ses portes en 1961 avec une seule piste. Le club de ski de Corner Brook y a ensuite installé des remonte-pentes, y compris un câble de remontée avec une dépanneuse de fortune qui a survécu jusqu’à ce que le contremaître ramène le câble à l’usine. Ce qui s’ensuivit méritait d’être consigné.

« Bowater a acquis des scies à chaîne branchées et les a essayées sur le mont Marble, qu’il a ensuite acheté, indique Cormier. Bowater a d’abord coupé des arbres pour faire de nouvelles pistes de ski à partir du sommet. Il a ensuite donné le bois au club de ski de Corner Brook. Puis, le club a revendu le bois à Bowater. Kevin St. George, président du club à l’époque, a réinvesti dans le club les 15 000 $ (une jolie somme dans les années 1960) payés par Bowater pour le bois. »

Voilà qui nous amène à nous demander combien d’argent le monde aurait en plus si nous avions tous un peu de générosité et d’ingéniosité terre-neuviennes en nous.

Marble est devenu l’escapade préférée des militaires de la base aérienne américaine à Stephenville jusqu’à sa fermeture en 1966. Au cours des décennies suivantes, Marble a continué de croître en acquérant de nouveaux remonte-pentes, en concevant de nouvelles pistes et en innovant. À cette époque, le mont était entièrement géré par des bénévoles. (C’est maintenant la province qui s’en occupe.)

Après un délicieux déjeuner d’œufs et de bacon servi par la charmante Colleen me demandant « Qu’est-ce que je peux te servir mon beau? », je monte au sommet à bord du télésiège quadruple Governor’s Express. À mon arrivée, je vois plus de vestes Yamaha et Ski-Doo que Bogner et Descente. Je m’arrête pour étudier les Governor’s Balls, deux blocs massifs nichés sous la station météorologique Doppler qui s’élève au sommet.

Malgré l’absence d’hiver dans l’Est, les conditions d’enneigement sont sensationnelles. C’est probablement l’effet Marble. En descendant une piste bleue du nom de Chilliwack, mes skis et moi sommes ravis de trouver une surface de neige fraîche fabuleuse et permettant bien des erreurs exempte des plaques de glace, des roches et des endroits dépourvus de neige que nous avons vus tout l’hiver. Je fais un arrêt au sommet de L’Anse aux Meadows pour admirer la vue spectaculaire de la rivière Humber et des toitures de Steady Brook. Les montagnes environnantes avec leur sommet enneigé s’étendent à perte de vue. Mais, comme il est bon de revenir à la maison!

Marble n’a pas beaucoup changé depuis ma dernière visite. Les pistes de niveaux intermédiaire et expert y prédominent toujours. Seulement une piste verte, qui porte bien son nom de Country Road, atteint le sommet. Le damage des pistes maximise encore le plaisir du ski plutôt que l’achalandage. Les remonte-pentes fonctionnent encore bien et les préposés aux remonte-pentes, ainsi que le personnel du chalet, n’ont jamais été aussi sympathiques et serviables. La différence la plus importante que j’ai remarquée jusqu’à maintenant, c’est le retrait des calmars frits (calamari fritti, si vous préférez) du menu du Cookhouse.

Pendant mon séjour trop court, j’ai découvert que la scène culinaire s’est considérablement améliorée dans l’Ouest de Terre-Neuve. À l’époque, il semble que tout était cru, frit ou bouilli. Les goûts ont clairement évolué.

De l’autre côté de l’autoroute, dans la ville de Steady Brook, Madison’s sert de la cuisine continentale et terre-neuvienne classique, mais gastronomique, y compris des charcuteries maison, de même qu’une roulade de saucisse de phoque et de volaille. Tout près de Corner Brook, Newfound Sushi impressionne les cuisinomanes locaux par la fraîcheur incroyable de ses sushis depuis 2012. Le photographe et le phénomène du surf des neiges local Dru Kennedy jure qu’il n’y a pas de meilleurs sushis à l’est de Vancouver. Pas question de s’obstiner. Surtout quand Dru paie la facture.

Il est surprenant à quel point on peut vite surmonter cette bonté presque incommodante.