Des leçons de vie et le sentiment d’appartenance à une équipe propulsent un skieur de compétition vers des endroits qui lui semblaient inatteignables au tout début

PAR : Michael Janyk

 

Au cours de ma carrière de skieur de compétition, il m’est arrivé de sentir que tout mon succès reposait sur ma prochaine poussée depuis la porte de départ. Dans ces moments, ma confiance ressemblait davantage à une bâche battant au vent qu’à une voile bien tendue. Je me tenais à la porte de départ, crispé, effrayé et réticent à prendre des risques, espérant seulement avoir, comme par magie, une excellente descente. Cette magie ne s’est jamais manifestée quand je le souhaitais le plus; elle est plutôt apparue quand je m’y attendais le moins, me ramenant dans la bonne voie pour me montrer ce qui était possible.

Durant mon enfance à Whistler, j’ai toujours été entouré d’un talent phénoménal, à commencer par ma mère, qui m’a montré à skier. Mon talent naturel et mon amour du sport se sont accrus à force de pourchasser ma mère et ma sœur aînée sur la montagne. Lorsque j’ai joint un programme structuré au Whistler Mountain Ski Club, le niveau de talent a augmenté et le bassin dans lequel je baignais s’est approfondi, ce qui m’a emballé et frustré à la fois. Il était intimidant au début d’être entouré d’un talent aussi incroyable, mais quand j’ai commencé à connaître mes coéquipiers et que j’ai gagné confiance en moi, l’extraordinaire est devenu la norme. La chance de me dépasser était enivrante, et les performances de mes coéquipiers sont devenues mon inspiration.

Par exemple, à l’âge de 13 ans, j’ai regardé un de mes coéquipiers descendre la première partie de la piste d’entraînement du slalom géant à vive allure, puis prendre un saut à pleine vitesse à demi-parcours. Il a exécuté un beau saut périlleux arrière, a atterri, s’est retourné vers la piste et a terminé les dernières portes. Cela a donné une toute nouvelle perspective à la notion de « simple descente de la piste d’entraînement ».

Des moments comme ceux-là m’ont donné le carburant dont j’avais besoin pour mettre le temps et les efforts nécessaires à la réussite dont je rêvais. Dans ces vagues d’inspiration, le choix de descendre plus de pistes, de faire une séance au sol supplémentaire, d’augmenter la cadence ou l’intensité était facile, amusant et sans effort.

J’ai continué à être entouré de talent quand j’ai transféré à l’équipe de ski de la Colombie-Britannique. Il était électrisant de me retrouver parmi les meilleurs skieurs de compétition de la province. Je connaissais la plupart d’entre eux : certains avaient fait partie de mon club maison, alors que j’avais compétitionné contre d’autres et les avais vus monter sur le podium. Dans un milieu aussi riche, ma motivation était nourrie par une source de carburant inépuisable, enflammant mon désir de me perfectionner et amenant ma technique à un tout autre niveau. Les deux saisons suivantes étaient dignes d’un rêve.

En 2000, j’ai joint l’équipe de ski nationale avec cinq pairs de l’Ouest. On nous a regroupés aux meilleurs skieurs de compétition de notre âge de l’Est pour former l’équipe de développement nationale. Si la Colombie-Britannique était un incubateur de talent, alors le Québec était en feu! Guidés par des hommes comme Erik Guay, ces skieurs provenaient d’un mouvement qui a créé les meilleurs skieurs canadiens de cette génération. Alors que mon arrivée au sein de l’équipe de la Colombie-Britannique m’avait paru électrisante, j’avais maintenant l’impression d’adhérer encore une fois à mon tout premier club de ski à vie. La situation était trop intense pour être compréhensible et trop intimidante pour être inspirante; son ampleur n’a fait de moi qu’une bouchée.

Comment pouvais-je m’associer à eux si je ne me considérais pas du même calibre? Durant cette première année, les efforts sont redevenus lourds et mon rêve de devenir un skieur sur le circuit de la Coupe du monde s’est embrouillé.

L’année suivante, en janvier 2001, mon équipe et moi-même étions en Europe pour participer à des compétitions de la Coupe européenne et de la FIS de niveau intermédiaire. Une certaine journée, nous étions à Chamonix, en France, compétitionnant contre certains des meilleurs talents que la France a à offrir. J’étais à la porte de départ, espérant davantage avoir de la chance que croyant en ma performance. C’était plus comme si je jetais de la boue sur un mur pour voir ce qui collerait que si je m’installais pour peindre un chef-d’œuvre. Avec cette mentalité, il n’est pas surprenant que mes espoirs ne se soient pas concrétisés et que ma course se soit terminée par un écart à ma deuxième descente.

Depuis les coulisses, j’ai pris appui sur mes bâtons et regardé le reste de la compétition se dérouler. La plupart de mes coéquipiers ont eu une performance semblable à la mienne, trois d’entre eux me rejoignant dans le cercle des abandons et un autre terminant en 16e position. Le dernier Canadien à descendre était Ryan Semple et, après une excellente première descente, il a de nouveau excellé pour terminer au deuxième rang. C’était son meilleur résultat de la saison et le deuxième meilleur de sa carrière à ce jour.

Cela nous a remonté le moral de voir notre ami et coéquipier tout donner pour prendre place au sein des meilleurs skieurs de la journée. Nous nous sommes réunis à la ligne d’arrivée pour célébrer ce moment de victoire par des tapes dans les mains et des étreintes. Par contre, alors que je me dirigeais vers le départ pour récupérer mon équipement, la joie ressentie s’est dissipée pour faire place à la déception de ma performance.

De retour à l’hôtel une heure plus tard, notre entraîneur, Mark Gagnon, nous a arrêtés pendant que nous traversions le hall de réception pour nous rendre à nos chambres. « Les gars, ce fut une journée fantastique pour Ryan et pour nous tous, a-t-il indiqué. Cela me montre ce que vous tous pouvez accomplir et que les efforts acharnés portent leurs fruits. Aujourd’hui, c’est au tour de Ryan, mais demain, ce pourrait être le vôtre. »

Une réponse comme « Ouais, peu importe! » m’est venue en tête. Même si je voulais vraiment le croire, ses mots tombaient à plat. Mes frustrations anéantissaient toute énergie positive que j’aurais pu tirer de cette journée.

Avant de nous laisser poursuivre notre route, Mark nous a dit qu’il y avait une cérémonie de remise de prix en ville plus tard dans l’après-midi. Il nous a fortement invités à nous joindre à lui et à Ryan, mais nous laissait tout de même le choix.

Comme nous devions bouger la journée suivante, la plupart des membres de l’équipe pensaient plutôt à faire leurs bagages pour se rendre à l’hôtel suivant qu’à assister à la cérémonie. J’étais de ceux-là et je ne voulais pas y aller. Pourquoi l’aurais-je fait? Qu’en aurais-je tiré? Ne vaut-il pas mieux que je me repose? J’aurais le temps d’une bonne séance au sol pour récupérer! Voilà les arguments que je me donnais à mon arrivée dans ma chambre.

Mais les mots de Mark continuaient de résonner dans ma tête. Je pouvais aussi entendre ma mère dire quelque chose du genre « Vaut mieux être un bon sportif qu’un champion », suivie de mon ancien entraîneur de la Colombie-Britannique s’exclamant avec son accent slovène « Nous sommes une équipe nom d’un chien! Nous irons tous à la cérémonie! »

Le sentiment de devoir y aller pour appuyer Ryan restait bien présent, comme une mule têtue ne voulant pas bouger. Je ne sais pas si c’est à cause de cela ou de ma superstition selon laquelle je contrarierais les dieux du ski, mais j’ai décidé d’accompagner Mark et Ryan pour la cérémonie de remise de prix.

À notre entrée dans le gymnase de la petite école primaire, j’ai commencé à sentir mon humeur s’alléger. L’emballement et la joie de Ryan étaient contagieux, et j’avais eu du plaisir à plaisanter avec lui en chemin. Nous avons bavardé avec quelques skieurs français. Bien, en fait, Ryan l’a fait, et je suis resté à l’écart du cercle en tentant de suivre le fil de la conversation en souriant et en hochant la tête au son des rires. Même si je ne comprenais que 30 % de la conversation, c’était incroyable! J’avais l’impression de faire partie d’un circuit de compétition de ski important et appréciais la culture internationale. Peut-être que Mark avait raison; c’était l’occasion pour nous tous de célébrer.

Les organisateurs se sont regroupés près de la scène, annonçant que la remise des prix allait commencer. Ryan s’est approché d’eux tout bonnement, et mon regard était fixé sur lui jusqu’à ce que je remarque Jean-Pierre Vidal à côté du podium. J-P n’allait remporter sa médaille d’or en slalom aux Jeux olympiques de Salt Lake City que l’année suivante, mais il était déjà un héros local et une vedette sur le circuit de la Coupe du monde. Il était venu compétitionner et faire un discours à l’événement. Je suis demeuré au centre de la pièce avec Mark pour écouter les présentateurs et regarder Ryan avec les autres gagnants préparer leurs skis pour cette photo de podium des commanditaires si importante.

Face à cette scène, j’ai inopinément été frappé par une vague de tristesse, qui a soulevé des questions inutiles. Pourquoi n’était-ce pas moi sur le podium? Pourquoi n’ai-je pas pu offrir une performance comme celle de Ryan? Je le veux plus que lui! Que dois-je faire de plus pour me retrouver à sa place?

Je suis instantanément passé du sentiment d’avoir gagné une médaille d’or à celui que mes rêves ne se réaliseraient jamais. Je comprends la raison pour laquelle une partie de moi ne voulait pas venir à cette cérémonie; cela me faisait affronter mes propres craintes.

Ce moment de divagation ne m’apportait rien de bon, donc, heureusement, la voix de l’annonceur au microphone m’a ramené dans la salle. « Et en deuxième position, Ryan Semple! » Les bruits dans ma tête se sont estompés pendant que je regardais mon coéquipier monter sur le podium, enlever sa casquette et recevoir sa médaille et un bec sur chaque joue. Il souriait fièrement, alors que je le regardais dans un silence complet.

Tandis que les gagnants brandissaient leurs skis en guise de célébration, les applaudissements des quelque 50 parents, entraîneurs, coéquipiers et bénévoles retentissaient dans la salle. Parmi les cris d’enthousiasme, ma tristesse, mes questions et mes doutes se sont finalement dissipés. Mon coéquipier, mon partenaire d’entraînement, mon colocataire et mon ami avait réussi! J’étais dans cette salle avec lui, je plaisantais avec lui, je compétitionnais et enregistrais des réussites et des échecs avec lui. Il était l’un de nous et nous étions là avec lui. À la lumière du succès de Ryan, je pouvais encore une fois voir ce qui était possible et j’ai commencé à croire de nouveau en mes rêves.