IL EST PARFOIS PAYANT DE FAIRE UNE MONTAGNE D’UNE TAUPINIÈRE. Avant la construction de copropriétés en bord de piste, les fonds spéculatifs et la privatisation de l’industrie du ski, les petites stations de ski des années 1960 et 1970 comptaient sur leur famille, la mère, le père et les enfants damant les pistes, s’occupant de la boutique de location et construisant les portes de slalom à partir de branches d’arbres. Souvent, leur travail acharné et leur dévouement les récompensaient d’une manière inespérée… comme ce fut le cas pour la famille Kreiner de Timmins, en Ontario.

L’histoire de ski de cette famille commence au début des années 1960, à l’époque où Hal et Peggy Kreiner se dévouaient corps et âme au Timmins Ski Club. La majeure partie du revenu discrétionnaire de la famille a été investi dans la création d’un mont d’une dénivellation de 400 pi, maintenant connu sous le nom de Kamiskotia Snow Resort, situé au beau milieu des mines d’or, de cuivre et de zinc du Nord de l’Ontario.

Hal, médecin de famille de profession, passait tous ses temps libres à améliorer la station de ski et à diriger la patrouille de ski. Quant à Peggy, elle faisait des boîtes à lunch pour ses six enfants : Tom, Libby, Jim, Philip, Laurie et Kathy. Elle organisait l’équipement de ski de seconde main des enfants, nourrissait les patrouilleurs de ski et les moniteurs de ski à sa table à manger et assurait le transport des équipes de ski de Timmins partout dans le Nord de l’Ontario pour compétitionner à des épreuves de ski alpin. Ces compétitions les amenaient entre Timmins, North Bay, Sault Ste. Marie et plus loin encore, dans la voiture familiale, souvent au milieu de la nuit, à des températures si froides que la conduite d’alimentation en carburant gelait. Leur fille Laurie Kreiner, l’historienne de la famille, s’exprime ainsi : « Nous avons découvert qu’une bouteille de rye pouvait être très pratique pour dégeler une conduite d’alimentation en carburant gelée. »

Pendant ces années, que Laurie appelle l’ « époque rudimentaire » de leur vie de ski familiale, les Kreiner ont été plongés dans les principes de base de l’exploitation d’une station de ski : l’entretien des toilettes extérieures, les remonte-pentes en T et les câbles de remontée, le défrichage en vue de la création de nouvelles pistes avec les équipes de bénévoles… Laurie indique : « Tout cela vu la vision de notre père dans ses temps libres, qui était autrement bien occupé à accoucher la moitié des femmes de Timmins en tant que médecin de famille! »

« Nous l’avons aidé à réparer et à réenrouler des ressorts pour remonte-pente en T dans le sous-sol, ajoute-t-elle. Nous passions toutes les fins de semaine suivant la fête du Travail à la station à accomplir le travail nécessaire, avec l’aide de nombreux nombreux autres bénévoles. »

L’histoire ne s’arrête pas là

Mais l’histoire des Kreiner ne se limite pas à la construction et à l’exploitation d’une station de ski familiale exigeant beaucoup de temps. En 1960, la médaille d’or qu’a remportée Anne Heggteveit à Squaw Valley, première victoire olympique en slalom pour le Canada, a peut-être été l’élément déclencheur de ce qui a causé l’inattendu; elle a entraîné les Kreiner sur la scène de ski mondiale.

D’abord, Laurie Kreiner a apposé l’affiche d’Heggteveit sur un mur dans la maison familiale, se promettant de skier aux Jeux olympiques un jour. Peu après, son père Hal est devenu le médecin bénévole de l’équipe de ski nationale du Canada, se méritant le surnom de « Cool Doc » étant donné son bon caractère et sa passion pour le ski de compétition.

Les lettres qu’il a envoyées à sa famille depuis les championnats de ski mondiaux de 1966 à Portillo, au Chili, décrivaient un monde dans lequel Nancy Greene et Jean-Claude Killy régnaient en tant que reine et roi du ski de compétition. Spider Sabich, Bob Beattie, Howard Head, Bob Lange et David Jacobs, de Spyder, en faisaient partie. C’est alors que Laurie Kreiner s’est montrée encore plus déterminée à s’y joindre. Sa sœur Kathy n’était jamais très loin.

Laurie a participé aux championnats canadiens à Thunder Bay à l’âge de 13 ans. À 14 ans, elle et son frère Jim sont montés à bord d’un train à destination d’un camp de ski d’été sur le glacier Kokanee, en Colombie-Britannique, accompagnés de leur petite sœur Kathy, âgée de 11 ans.

« Quand nous sommes descendus du train à Calgary, le sac à dos de Kathy avait disparu, se souvient Laurie. Tous ses vêtements, ses bottes de ski, tout était parti. J’ai appelé mes parents de Nelson, qui m’ont dit d’aller lui acheter des vêtements. À notre arrivée au glacier, Nancy Greene lui a prêté une paire de bottes de ski Lange! »

« L’expérience Kokanee a été toute une aventure », ajoute Laurie. Elle se rappelle les nuits froides à dormir dans des tentes et les déjeuners tôt le matin servis par un cuisinier grincheux qui leur disait de « manger ce qu’il y avait devant eux ». Sur le glacier, ils descendaient les pistes parsemées de portes de bambou, leur temps étant chronométré, non pas par des systèmes de chronométrage Longines sophistiqués, mais par des montres chronomètres portatives. Laurie déclare ce qui suit : « Le soir, nous rangions nos skis sous les roches afin que les marmottes ne puissent pas manger nos bottes et longues lanières de cuir. »

Ce voyage s’est avéré un tournant décisif pour les sœurs Kreiner. « Nous étions très modelables, explique Laurie. Papa nous avait dit de ne jamais abandonner. Donc, nous ne l’avons jamais fait. Nous étions jeunes et perçues comme des étrangères, mais nous comptions parmi les plus rapides au bout du compte. » Après le camp, Laurie a été invitée à se joindre à l’équipe pour un entraînement supplémentaire; les entraîneurs gardaient un œil sur sa petite sœur Kathy, qui a été admise dans l’équipe quelques saisons plus tard.

La scène de ski mondiale

À partir de la 9e année, Laurie Kreiner était sur la route, participant à diverses compétitions de ski aux côtés de Betsy Clifford, de Billy Kidd et de Marie-Theres Nadig. « Sur un vol vers les finales de la Coupe du monde à Squaw Valley, j’étais assise à côté de Spider Sabich, indique-t-elle. Il m’a dit : « Je m’assois toujours en arrière parce que, quand un avion s’écrase, c’est le nez qui en prend un coup. » Il avait 10 ans de plus que moi, j’étais seulement surprise qu’il m’adresse la parole. »

C’est aux Jeux olympiques de Sapporo, au Japon, en 1972, que Laurie a enregistré ses meilleurs résultats, terminant quatrième à l’épreuve de slalom géant. « J’ai manqué une médaille olympique de 0,13 seconde. »

Puis, en 1976, aux Jeux olympiques d’hiver à Innsbruck, en Autriche, sa sœur Kathy Kreiner est passée à l’histoire.

« Les filles ne connaissaient pas une excellente année, explique Laurie en parlant de l’équipe de ski féminine canadienne juste avant ces mémorables Jeux olympiques de 1976. Nous n’étions que trois : Betsy, Kathy et moi. Personne n’attendait beaucoup de nous, car les projecteurs étaient sur les hommes, que les Européens surnommaient « The Crazy Canucks”. »

« Kathy a pris le départ la première, poursuit-elle. C’était une bonne pente, plutôt abrupte d’un bout à l’autre, et la surface était dure et glacée. Kathy a eu une bonne descente, mais personne ne savait à quel point c’était bien jusqu’à la fin… toutes les autres sont sorties de piste. Elle attendait debout, au bas de la piste, sans média autour d’elle. »

« Jungle Jim Hunter l’a fait monter sur ses épaules quand il s’est rendu compte qu’elle avait gagné. Voilà l’histoire de cette célèbre photo de Kathy et Jungle Jim. C’est devenu une magnifique histoire pour le Canada, car aucun autre canadien n’a remporté de médaille d’or aux Jeux olympiques d’hiver et d’été de 1976. »

Kathy Kreiner n’avait que 17 ans; à ce jour, elle est toujours la skieuse la plus jeune à avoir décroché une médaille d’or.

À Timmins, Hal et Peggy Kreiner ignoraient que leur fille cadette était passée à l’histoire du ski de compétition. « Le téléphone a réveillé mon père tôt le matin, ajoute Laurie. Quelqu’un avait entendu parler de la victoire de Kathy à la radio et l’avait appelé pour l’en aviser. » Les sœurs Kreiner sont revenues dans le Nord de l’Ontario en première classe sur les ailes d’Air Canada; une énorme célébration a été organisée à l’aréna local. « Un homme a conduit depuis Niagara Falls pour nous remettre nos vestes de la Baie d’Hudson », ajoute Laurie. Ce fut un retour au bercail mémorable.

De retour à Timmins

Au cours des années qui ont suivi, la famille Kreiner a connu d’autres hauts, et de nombreux bas, sur le plan du ski. Kathy a poursuivi les compétitions après sa médaille d’or jusqu’à sa retraite dans les années 1980 pour se vouer à une carrière en psychologie du sport. Hal est décédé en 1999; Peggy, en 2011. À ce moment, leurs six enfants étaient éparpillés dans tout le Canada, travaillant en tant qu’auteurs, enseignants et chefs d’entreprise.

Quant à Kamiskotia : « Deux de nos frères se sont occupés de la station de ski sur diverses périodes, explique Laurie. Puis ce fut mon tour, après ma retraite des compétitions de ski. Pendant 19 ans, j’ai assuré la poursuite des intérêts de la famille tout en élevant ma famille. »

Des télésièges quadruples, des canons à neige et un nouveau chalet ont été ajoutés à la station. Mais, Laurie ajoute que l’exploitation d’une station de ski n’a rien de facile. Avec l’ouverture des magasins le dimanche, les activités en ligne et le coût de l’électricité, les Kreiner n’arrivaient plus à garder la station une histoire de famille. Kamiskotia est finalement devenue une entreprise sans but lucratif pour la Ville de Timmins.

Pour leur dévouement au sport, les Kreiner ont payé très cher. Le fils aîné de Laurie a accidentellement perdu la vie en entrant en collision avec un arbre pendant une compétition de ski. « Le ski a été très dur sur ma famille, déclare-t-elle. Mortel, en fait. Mais, oui… je le pratique encore. J’aime la sensation que le ski procure à mon corps. J’aime l’air frais. J’aime la paix et la tranquillité. »

Elle ajoute : « Notre famille ne participe plus activement aux activités quotidiennes et annuelles de Kamiskotia, mais j’y skie avec mes souvenirs, mon amour du sport, ce qui me fait sourire dans ma tête. »

Tout cela grâce à Peggy et à Hal « Cool Doc » Kreiner et à leur dévouement à faire une montagne d’une taupinière de Timmins.